un écrivain entre la France et l\'Allemagne

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Route du vin

Route du Vin

Le long de la Weinstrasse, les amandiers fleurissent trop tôt, cette année encore. Les giboulées de mars sont là, alors qu’en allemand, on parle de temps d’avril. Le temps d’avril en mars… La nature se presse, change de rythme, accélère. Pourquoi vouloir tout comprendre, contrôler d’un coup, voir tout de suite le résultat d’une démarche ou d’une rencontre, la nature est là, elle nous apprend à trouver en nous la patience, à abandonner cette envie de tout maîtriser… Les amandiers fleurissent, voit-on déjà leurs fruits ?

Depuis quelques années, quand les amandiers fleurissent, bouquets rose pâle le long de la forêt palatine, encore vert foncé, encore brune de l’hiver, le vent glacial les fait se courber et frémir à chaque bourrasque. Mais ils résistent, leurs pétales ne tomberont que dans quelques semaines, ils préservent leurs fruits. À chaque trajet, sur la Weinstrasse qui longe la forêt, je jette des coups d’œil vers la haie rose et légère, qui va de Mussbach à Gimmeldingen. À un moment, la route est bien droite, et on peut passer la cinquième vitesse.  Mais le veut-on ? Le monde accélère, la voiture est lancée à la même allure que l’autorail, sur la voie ferrée. Ce sont des mondes parallèles : la forêt palatine, toute une montagne de châtaigniers en bas, de pins en haut, qui prend la pente douce pour faire place aux vignobles, puis la voie ferrée où ne passe que l’autorail rouge toutes les demi-heures, enfin la route qui serpentine et prend des allures victorieuses, entre les alignements de ceps de vigne. La vigne, jusqu’à l’horizon, jusque devant ma porte, jusqu’au bord des terrains de sport, jusque derrière le supermarché, la vigne qui rythme la vie. Les petits tracteurs passent, ils partent élaguer la vigne, ils partent l’entretenir, ils reviendront à l’automne avec des chargements odorants de raisins dorés ou noirs.

Je laisse ma vie se rythmer aux vendanges.  Au printemps, je sors aussi mes premières couleurs dans mes vêtements, j’abandonne le noir ou le brun, je fais comme les premières tulipes, j’arbore mes souliers rouges. Et je passe chez le coiffeur pour couper les pointes des cheveux longs de l’hiver, je cherche à la parfumerie une nouvelle couleur, un orange doré, qui me met du rose aux joues. La vie sur la Weinstrasse est faite de senteurs, de couleurs douces qui vibrent au vent de mars, d’un grand vert vibrant sous le soleil de juillet. Et si nous partons dans les vignes nous promener, chaque grain de raisin porte en lui la couleur et l’arôme des rieslings de demain, de la prochaine vendange. En été, nous viderons les caves, assis sur le muret du village.

En été, c’est la saison des fêtes de villages, les fêtes du vin. On vide les caves pour faire place au vin nouveau, on court chaque week-end de village en village, dans les cours des vignerons, des tables sont dressées et les touristes sont sortis de partout.

Un verre de riesling, mélangé à de l’eau minérale pétillante, voilà le Weinschorle, et le grand verre passe de mains en mains, de bouche en bouche, on partage. Sur la Weinstrasse en été, on partage le vin, le soleil et les senteurs. Nous avons retrouvé Nina, qui revient de Berlin, faire le plein de raisin. Nous avons croisé Peter et Petra, qui lèvent le bras, dans la foule, pour nous appeler, et rire aux éclats. Les enfants se sont faufilés entre les gens, ils cherchent le stand de tir, le stand de barbe à papa, le manège pour les petits, et au nez, repèrent le vendeur de gaufres.

Au stand de quelle coopérative atterrirons-nous cette année ? Suivrons-nous le club de foot pour boire le vin de Ruppertsberg ? Ou serons-nous fidèles à notre village, à Forst, où le riesling sort du vignoble du « monstre » ? Comme nous a dit un de nos amis sommelier, si la cuvée a un nom en rapport avec l’église, tu peux être sûr, c’est un bon vin !  Alors goûtons le « Coin d’église », le « chemin  des Jésuites », le « jardin du paradis »,  nous serons bénis des dieux !

Tu te souviens, quand nous sommes arrivés dans cette région ? Nous avons découvert la franchise, le côté bon-vivant des Palatins. C’est un peu la région parallèle au ballon d’Alsace. Napoléon est passé par là, et dans le dialecte palatin de drôles de mots font résonner à mes oreilles françaises des consonances connues : le trottoir, la chaise, (qui est un landau) et la traduction du pissenlit (Bettnässer) alors qu’en allemand standard c’est la « dent du lion », Löwenzahn.

Viens, nous allons boire un verre, et comme tout bon Palatin tu me répondras « Alla hop », et je rirais de bonheur, de ce joli mot français alors devenu si sautillant, si dansant.

Sur la Weinstrasse, les saisons nous portent, on oublie à la porte de nos vignobles, le chômage dans les rues de Ludwigshafen, cette ville bétonnée, sur les bords du Rhin, en face de Mannheim, où le palais vient d’être complètement reconstruit, soixante ans après la guerre. On voit de très loin les cheminées de la BASF, et je souris en me rappelant la question d’une petite fille de huit ans, dans une classe où j’étais venue parler de la France :

-         Quelle est la profession la plus courante en France ?

J’ai regardé l’enseignante, perplexe, je n’en avais aucune idée. J’ai demandé à Mme Müller :

-         Vous savez, vous, la profession la plus courante en Allemagne ?

Elle était aussi perplexe que moi. Nous avons interrogé la petite fille, elle a répondu, le regard étonné, comme si cela allait de soi…

-         Mais le travail à la BASF, pourquoi ?

Eh oui, évidemment. La Weinstrasse est le dortoir des travailleurs de la BASF. J’entends bien des ingénieurs et chercheurs, ceux qui peuvent se permettre de venir vivre au vert, arrivés d’une autre région, avec leur famille. Ils cherchent un endroit où il fait bon vivre. Oui, la Weinstrasse est un lieu privilégié, une enclave, dans une Allemagne complètement différente, selon que l’on habite à Stuttgart, à Berlin ou dans la Ruhr. Mais si la BASF fait venir les diplômés, l’entreprise a aussi laissé sa marque dans les villages de la région. Combien de rues, aux maisons identiques, rappellent que c’est là que vivaient des ouvriers de la BASF,  sur un terrain payé pas cher sur leur salaire, dans de petites maisons, avec un jardin derrière.

À présent, aux entrées des jolis villages viticoles, des lotissements de maisons neuves montrent l’engouement des diplômés pour cette région, et bizarrement, combien de familles ici ont trois enfants, record absolu pour des familles allemandes !

Je roule sur la route, le long des vignobles, je suis derrière un tracteur, c’est l’automne. Son tombereau est plein de raisins blancs, les vignes se vêtissent de dorures, et je ralentis l’allure. Aujourd’hui, je ne passerai pas la cinquième vitesse. Le raisin doit fermenter, il faut lui donner du temps. Pourquoi vouloir tout de suite un résultat ? Le vin nouveau fait mal à la tête et nous coupent les jambes qui voulaient se mettre à danser. 

Les amandiers au printemps fleurissent, voit-on déjà leurs fruits ? Les raisins à l’automne mûrissent, comment sera cette année la récolte ? Je porte en moi tant de choses encore à éclore, c’est le chemin qui m’importe, pas le résultat. C’est la Weinstrasse qui me plaît, la suivre dans ses courbes et ses virages, dans ses lignes droites au soleil couchant, dans sa paresse d’un été finissant, sur un vélo le jour où elle n’est ouverte qu’aux deux-roues. Alla hop !



12/11/2010
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